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Sur Youtube ou TikTok : les médias 100% vidéo poussés à l'autocensure - Par Alizée Vincent | Arrêt sur images

arretsurimages.net · 23 min

Les médias vidéos sont unanimes : les images de violences policières, les sujets associés aux violences conjugales ou sexuelles et aux violences animales sont les sujets les plus ciblés.

"On se pose la question sur plusieurs sujets, notamment les violences sexistes et sexuelles, car on sait que les plateformes n'aiment pas certains mots". Pour éviter d'être striké, Konbini s'est inspiré "de ce qu'on voit chez les voisins : remplacer le o de viol par un zéro majuscule." D'autres mettent des astérisques sur les mots associés à des violences ("t*é" au lieu de "tué", dans le cadre de faits divers). Mais la réflexion va plus loin.

"Est-ce qu'on essaie d'être jusqu'au-boutiste" en mettant toutes les images jugées utiles, au nom de la liberté d'informer, quitte à ce que l'info soit supprimée par Youtube, "ou est-ce qu'on essaie de nous adapter, pour avoir plus de chances que notre info passe", même si cela signifie renoncer à certains visuels ? L'équation est un problème permanent. "Nous, sur TikTok, il y a des vidéos qu'on ne poste plus. Il y a des angles morts éditoriaux", avoue Matthieu Bidan. Konbini, assure de son côté Thomas Folliot, a pris le parti de ne plus céder à des écritures spécifiques pour contourner la potentielle censure des algorithmes. "Un viol c'est un viol, il faut utiliser ce terme même si c'est au détriment de la vidéo".

L'opacité est telle que les censures semblent parfois contradictoires. Angélique Cauchy le relevait dans son message d'indignation. "Je m'aperçois alors que moi en caméra fixe qui raconte ce que j'ai vécu, pour certaines personnes, c'est plus violent qu'une vidéo avec une arme où un père tue l'agresseur de sa fille ou avec avec des propos racistes dans un stade". Ce sont en effet les sujets de deux vidéos Brut publiées peu ou prou en même temps. Elles n'ont pas été floutées.

À Loopsider, les conséquences sont diffuses. Johan Hufnagel poursuit. "Quand il y a eu la mort de Nahel, aucune de nos vidéos n'a été masquée." À l'inverse, "pendant des mois, nos images de violence pendant les manifestations contre la réforme des retraites ont été très souvent interdites, de manière aléatoire".

Les décisions sont opaques. Difficile d'en tirer des conclusions. Johan Hufnagel précise que la demande de modération vient parfois de "groupes militants qui veulent éteindre certains contenus" et signalent les vidéos à tout-va. "Ils forcent la règle algorithmique". Cela s'est ressenti, dit-il, sur les sujets sur la souffrance animale et les violences policières.

La ligne édito de Brut est dictée par les algorithmes". Preuve en est avec la souffrance animale. "Là où on faisait beaucoup de sujets L214 auparavant, on n'en fait quasi plus", observe notre source. Brut publie toutefois toujours beaucoup de vidéos sur les animaux, avec des angles plutôt positifs, comme le sauvetage d'un hérisson ou d'un élan.

Notre ancien journaliste anonyme de Brut va plus loin. Chez Brut, "il y avait des échanges très étroits avec TikTok, y compris pour définir la ligne éditoriale". Et même, l'organisation de la rédaction. "Ça se traduit par des journalistes qui se spécialisent non pas sur des sujets" (comme l'environnement ou la politique), mais qui "se spécialisent sur TikTok ou Youtube". Résultat : les journalistes "reproduisent ce qui est en vogue, emploient les codes dictés par les plateformes". Bref, ils accentuent le succès des plateformes, et ce au détriment, selon notre source anonyme, de leur indépendance éditoriale.

L'une des salariées de TikTok en France nous a cependant donné plusieurs éléments, sous couvert d'anonymat. Elle a reconnu des "partenariats" avec "une douzaine de médias" - dont Brut - pour "les accompagner", notamment "sur le type de formats" à privilégier. Pour autant, la plateforme conteste toute forme de censure. "Ce qui est fait n'est pas une contrainte, ce sont les médias eux-mêmes qui se mettent un filtre. Ce sont les personnes qui créent les vidéos qui se l'imposent. Il n'y a pas de blocage quel qu'il soit".

(Note perso : Quelle blague !)

Mathilde Gros, lorsqu'elle était chez Konbini, avait des "contacts chez Meta qui suggéraient certaines bonnes pratiques, certains formats, comme le caroussel." Les médias, en retour, "pouvaient faire remonter leurs doléances". Aujourd'hui, les rédactions de vidéo web affirment toutes qu'elles n'ont quasi plus aucun contact précis chez Meta ou TikTok, tant la communication est cadenassée.