Certains publicitaires diront que la pub ne créé pas de besoins car elle ne fait que rediriger des décisions d’achats préexistantes. C’est faux. Une étude macroéconomique révèle que les dépenses publicitaires en France sont responsables d’un surcroit de consommation de 5,3 % et d’une augmentation du temps de travail de 6,6 %. Nous travaillons 2 heures et demie en plus par semaine à cause de la publicité, sans compter le temps gâché à la produire et à la regarder.
La critique la plus redoutable que l’on puisse faire au capitalisme contemporain est que c’est un système inefficace en matière de qualité de vie. Ces trois stratégies sont des sources directes de mal-être. La plupart des gens déteste la publicité. Personne n’éclate de joie quand sa chaudière tombe en panne. Qui jubile à l’idée de débourser un (ou plusieurs) SMIC pour assurer des conditions de vie déplorables à ses grands-parents dans un EHPAD privé ? Les seules personnes qui profitent sont les capitalistes, c’est-à-dire cette minorité possédante qui capte la plus-value des activités marchandes (en France, les 20 % les plus riches possèdent 65 % de la richesse nationale, ce qui leur permet de capter 38 % de tous les revenus ; le décile supérieur possède 99 % du patrimoine professionnel).
Interdisons la publicité qui vise les enfants (comme c’est déjà le cas en Suède), la publicité pour les produits les plus polluants (comme à La Haye), les panneaux publicitaires dans les rues (comme à Grenoble), mais aussi la collecte industrielle des données personnelles. Au lieu d’un Black Friday, un buy-nothing day (journée sans achats) ; au lieu des médias sac à pub qui n’existent que pour vendre de l’attention, des médias indépendants financés collectivement ; au lieu de sacrifier nos esprits les plus créatifs pour donner envie d’acheter du parfum et de parier sur des matchs de foot, musclons notre imaginaire collectif, qu’il soit artistique, scientifique, ou politique, sur des projets plus ambitieux.
Contre l’obsolescence, privilégions la permanence. Généralisons l’usage de « l’indice de durabilité » à tous les produits pour permettre d’interdire progressivement à la vente les produits les moins durables. Imaginons une économie où les décisions de production sont gérées par les artisans et les utilisateurs plutôt que par les comptables et les investisseurs. Au lieu de chercher à tout prix à créer ces licornes que seuls les capitalistes trouvent magique, renforçons un tissu productif social et solidaire dont la raison d’être n’est pas de faire de l’argent mais de défaire du mal-être.
Subventionnons massivement la seconde main en développant les repair cafés, les laboratoires de fabrication (fablab), et autres ateliers coopératifs (garages associatifs, ateliers vélo, cantines solidaires, etc.). Donnons-nous les moyens de fabriquer, bricoler, recoudre, et prendre soin de toutes les choses que nous avons déjà. Passons d’une économie linéaire de croissance centrée sur la quantité, la possession, et le profit à une économie circulaire de maintenance centrée sur la qualité, le partage, et le bien-être.
Contre la marchandisation de l’essentiel, défendons la gratuité, le partage, et l’entraide. Bibliothèques municipales et boîtes à livres, outilthèques, banque de temps, monnaies alternatives, ressourceries, logiciels libres, bar à jeux, terrains de sport ouverts, casiers à objets, brocantes et gratiférias, et services publics de qualité. Au lieu de construire des centres commerciaux, autoroutes, et autres « grands projets inutiles et imposés », et si on laissait respirer la nature ? Et si on mettait à disposition des citoyen·ennes des locaux pour pouvoir accueillir, prêter, apprendre, et échanger ? Et si on accompagnait celles et ceux qui, en dehors de la sphère marchande, sont à l’avant-garde de l’innovation sociale et du convivialisme ?
Au lieu d’imprimer des livres en masse, publions moins mais mieux (des trêves de nouveautés chez les éditeurs et des pratiques de slow science à l’université). Partageons nos connaissances en formant des clubs de lecture, des arpentages, des bases de données collaboratives, des publications scientifiques en libre accès, et des bibliothèques communes. « Private sobriety, public luxury », dirait George Monbiot, la sobriété individuelle rendue possible par l’abondance collective. Au lieu de laisser mourir nos services publics, asséchés par le grand capital, « reprenons le contrôle de notre économie » avec l’avènement d’une démocratie qui ne serait pas que politique mais aussi économique.
En cette fin d’année, posons-nous de vraies questions. À qui donnez-vous vos heures de vie ? À qui confiez-vous votre épargne ? Quelles sont les conséquences des choses que vous produisez et des choses que vous consommez, des ordres que vous donnez et des ordres que vous recevez ? Plus que jamais, nous avons besoin d’un sursaut d’esprit critique économique. Ne laissons pas une poignée de publicitaires dicter nos rêves. Ne laissons pas la « liberté d’entreprendre » saccager nos écosystèmes. Refusons ces politiques économiques qui placent le PIB avant la santé.
Rêvolutionnons l’économie. Au lieu d’une obsession écocidaire pour la croissance, faisons l’éloge de l’inactivité (Byung-Chul Han) en accordant plus d’importance à la contemplation qu’à la production. Au lieu d’accumuler des choses et des désirs qui nous encombrent, faisons de la place (Karine Sahler). Au lieu d’un consumérisme niais qui consiste à hocher la carte bleue à la vue du moindre gadget, inventons un hédonisme alternatif (Kate Soper) centré sur l’être plutôt que sur l’avoir. Au lieu de démoniser la paresse en travaillant pour travailler, mettons nos efforts collectifs au service de l’otium (Jean-Miguel Pire), l’usage gratuit, désintéressé, non mercantile, de notre temps.