Présentation
Le débat entre éthique de la sacralité de la vie et éthique de la qualité de la vie se trouve au centre des discours bioéthiques (en particulier ceux en langue anglaise) depuis une quarantaine d'années. La sacralité de la vie est généralement considérée comme une éthique ancienne dont les origines remonteraient aux traditions judéo-chrétienne et hippocratique. L'éthique de la qualité de la vie, quant à elle, est souvent présentée comme une éthique moderne, née consécutivement au développement scientifique et technique qui a marqué le domaine médical depuis soixante ans. La différence entre les deux éthiques consisterait alors dans le fait que chacune d'entre elles attribuerait une valeur distincte à la vie humaine.
De là découleraient des considérations morales divergentes sur certaines pratiques : euthanasie, avortement, interruption des traitements, etc. L'abondance de la littérature sur le sujet et la récurrence de l'usage des deux expressions n'empêchent pas que la portée et la signification de ces éthiques restent confuses. Cela est particulièrement évident dans les débats publics, et notamment à l’occasion de cas fortement médiatisés. Qu'entend-on par vie (humaine) ? Par sacralité ? Et par qualité ? Même au sein des « camps » apparemment bien définis, ces questions ne reçoivent pas toujours la même réponse.
La présente thèse s'interroge sur la pertinence de l'opposition plus haut présentée au moyen d'une approche généalogique et d'une méthode archéologique. Elle se questionne d'abord sur l'idée commune de la sacralité de la vie et en repère les provenances multiples et hétérogènes. Celles-ci sont ensuite relues en contexte, en s'intéressant aux conditions dans lesquelles l'expression a été mobilisée, ainsi qu'aux discours qui s'y sont opposés. Ce cadre permet de porter un regard neuf sur l'apparition du débat entre éthique de la sacralité de la vie et éthique de la qualité de la vie, ainsi que sur son émergence et sa reconfiguration au sein de la bioéthique. L'enjeu est ici de fournir de nouvelles clés pour penser autrement le débat contemporain.
Introduction
L'introduction s'ouvre sur une réflexion déclenchée par une conférence en 1966 à Portland autour de la "sacralité de la vie", posant la question de la valeur de la vie humaine dans un contexte de bouleversements sociaux et scientifiques. Ce moment marque l’apparition de tensions entre la tradition morale de la sacralité de la vie et les nouvelles perspectives portées par les avancées biomédicales, appelant à une refonte des fondements éthiques de la médecine et de la société moderne.
Problématiques
Qu’entend-on par « vie sacrée » ?
Peut-on considérer que toute vie biologique a une valeur absolue, même en cas d’état végétatif ou de lourdes séquelles ?
Le développement technologique oblige à repenser si prolonger une vie, médicalement possible, est toujours souhaitable. La problématique centrale est la suivante : la sacralité de la vie est-elle toujours pertinente ou faut-il lui préférer une éthique de la qualité de la vie ?
Méthodologie
L’auteure combine une approche généalogique (inspirée de Foucault) pour retracer l’histoire des concepts, et une méthode archéologique, qui analyse les mutations discursives dans le temps. Il ne s’agit pas d’établir une vérité universelle mais d’interroger les discours comme des événements historiques, pour mieux comprendre les enjeux présents et les conditions de possibilité d’un changement de paradigme éthique.
Outils conceptuels
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Concepts de qualité de la vie issus des domaines médicaux, sociaux et philosophiques (par exemple John Dewey, Beauchamp & Childress).
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Corpus élargi intégrant bioéthique, théologie, textes gouvernementaux et articles de presse.
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Opposition théorique : sacralité (fondée sur l’inviolabilité) vs. qualité (fondée sur la subjectivité et l’utilité).
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L’éthique clinique comme espace de mise à l’épreuve des principes abstraits dans des cas concrets.
Proposition pour une éthique dynamique
L’auteure ne propose pas un remplacement simpliste d’un modèle par un autre, mais un dépassement dialectique : comprendre les limites de l’éthique de la sacralité, sans tomber dans une sacralisation inverse de la qualité de la vie. Elle plaide pour une éthique contextuelle, critique et ouverte, dans laquelle la consultation clinique éthique permet une co-construction morale sans autorité absolue ni dogme.
Cette proposition est construite depuis l'expérience du "Centre d’éthique clinique", qui incarne un espace de réflexion éthique non dogmatique, né après la loi de 2002 sur les droits des patients. Il se veut un lieu de consultation morale où les décisions médicales complexes peuvent être explorées de manière collective et critique.
Acteurs
Les consultations réunissent : des patients, leurs proches, des soignants (médecins, infirmiers, aides-soignants, psychologues), une équipe pluridisciplinaire (composée toujours d’un soignant et d’un non-soignant : philosophe, juriste, etc.).
Ces acteurs sont engagés dans des entretiens individuels pour expliciter leurs positions. Tous participent à la co-construction de la réflexion morale, sans hiérarchie de légitimité.
Relations
L’éthique est conçue comme relationnelle et dialogique :
- Chaque acteur est invité à formuler ses raisons éthiques, culturelles ou religieuses.
- Les débats sont animés lors de staffs pluridisciplinaires, mais toujours sans visée décisionnelle : le rôle du centre est consultatif, jamais normatif.
- L’approche rejette la figure de « l’expert moral » : il s’agit d’une construction morale collective dans laquelle aucune norme n’est absolue ou préétablie.
Cette organisation traduit une vision dynamique de l’éthique : elle ne réside ni dans des textes ni dans des dogmes, mais dans un processus critique, contextualisé et partagé. C’est ce que l’auteure qualifie d’attitude expérimentale en éthique, inspirée de Foucault.
Auteurs et références centrales
Philosophes
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Michel Foucault : influence centrale pour la méthodologie (généalogie et archéologie) et la critique des discours éthiques établis.
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Jean-François Braunstein : mobilisé pour sa lecture du « style français » en épistémologie, complémentaire de Foucault.
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John Rawls : A Theory of Justice (1971) sert de référence clé pour comprendre la montée des théories éthiques universalistes en bioéthique.
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Emmanuel Kant, Mill, Locke, Hume, Socrate, Aristote, Sénèque, Montaigne : mentionnés pour éclairer différentes postures éthiques entre sacralité et qualité de la vie.
Bioéthiciens et théologiens
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H. Tristram Engelhardt : pour sa critique de la bioéthique comme idiome théologico-moral sécularisé.
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Daniel Callahan : pour sa réflexion sur les ambiguïtés conceptuelles de la sacralité de la vie et l’évolution vers une bioéthique internationale.
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Warren Reich : éditeur de l’Encyclopedia of Bioethics et contributeur majeur sur le concept de "quality of life".
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Maurizio Mori : directeur de thèse et auteur mobilisé pour penser une éthique laïque de la vie.
Corpus religieux et historique
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Les papes et l’Église catholique romaine : documents fondamentaux pour comprendre l'origine doctrinale de la sacralité de la vie.
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Williard L. Sperry, Karl Barth, Emil Brunner, Thomas d’Aquin, Augustin d’Hippone : sources théologiques majeures dans l’historicisation de la sacralité.