Problématiques
Les auteurs cherchent à explorer deux grandes questions de recherche dans le contexte du travail intellectuel assisté par l’intelligence artificielle générative (GenAI) :
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Q1 : Quand et comment les professionnels perçoivent-ils l’activation de la pensée critique lorsqu’ils utilisent des outils d’IA générative ?
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Q2 : Quand et pourquoi perçoivent-ils que l’IA augmente ou diminue l’effort requis pour mobiliser cette pensée critique ?
Ces questions partent du constat que :
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GenAI devient omniprésent dans les tâches de création, d’analyse, de synthèse et de décision.
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Les effets cognitifs profonds de son usage – en particulier la réduction potentielle de la pensée critique – sont encore peu étudiés en milieu professionnel.
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La confiance dans l’IA et la confiance en soi pourraient jouer un rôle crucial dans l’effort perçu et la qualité du raisonnement critique.
Méthodes
1.Participants et protocole
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319 professionnels (via la plateforme Prolific) utilisant régulièrement des outils GenAI au travail.
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936 exemples de tâches réelles utilisant GenAI recueillis (types : création, recherche d’information, conseil).
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Étude validée par un comité éthique ; chaque participant a été rémunéré (~£10).
- Outils et instruments
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Enquête en ligne : questions fermées (échelles Likert) et ouvertes.
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Cadre de référence : taxonomie de Bloom (6 niveaux cognitifs : connaissance, compréhension, application, analyse, synthèse, évaluation).
- Mesures clés :
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Perception de la pensée critique (activation ou non)
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Effort perçu sur chaque activité cognitive
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Confiance en soi, confiance dans l’IA, capacité à évaluer les réponses IA
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Tendance à la réflexion (questionnaire de Kember), confiance générale envers les technologies IA
- Analyses
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Quantitatives : modèles de régression logistique et linéaire à effets mixtes.
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Qualitatives : analyse thématique des réponses libres selon codification inductive.
Conclusions
- Pensée critique et GenAI (Q1)
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Pratique de la pensée critique : les professionnels activent la pensée critique en :
- définissant des objectifs clairs et raffinant leurs requêtes à l’IA
- évaluant la qualité et la pertinence des réponses
- vérifiant les sources et intégrant les réponses à leur contexte de travail.
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Facteurs favorables :
- confiance en soi et capacité à évaluer les réponses → plus grande probabilité de mobiliser une pensée critique.
- tendance naturelle à réfléchir → effet positif significatif.
- facteurs inhibiteurs :
- confiance excessive en l’IA → diminue la probabilité d’activer la pensée critique.
- tâches perçues comme peu importantes, pression temporelle, ou manque de connaissance du domaine → désengagement critique.
- Effort perçu pour la pensée critique (Q2)
- GenAI réduit globalement l’effort perçu, surtout pour des tâches de type :
- rappel
- compréhension
- synthèse
Toutefois, certaines dimensions restent exigeantes cognitivement :
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Évaluation et analyse peuvent nécessiter un effort accru si l’on souhaite vérifier et adapter les résultats IA.
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Mécanisme identifié : déplacement du rôle de l’humain vers un travail de supervision critique, avec :
- moins de production brute
- plus de vérification, d’ajustement et d’intégration.
Recommandations
Les auteurs plaident pour un design responsable des outils GenAI qui :
- encourage l’engagement critique plutôt que l’automatisation passive
- soutienne la métacognition (conscience de sa propre pensée)
- intègre des "nudges" critiques (ex. : questions, alertes, délais avant réponse)
- favorise l'apprentissage continu et la co-évolution IA-humain dans le cadre professionnel.