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Ainsi, là où l'activisme, le service et la mobilisation se concentrent sur l'action et la réalisation d'un programme déterminé, l'expression première du community organising se consacre à la création d'un pouvoir local relationnel : établir des échanges entre organisations et communautés voisines, bâtir une culture de dialogue systématique, faciliter pas à pas la coopération au sein d'un quartier ou d'une ville

Il existe deux formes principales de community organising :

  • d'une part le broad-based organising (qui consiste à rassembler des institutions locales : associations, centres sociaux, syndicats...) ;
  • d'autre part le grassroots organising (qui consiste à rassembler des citoyens individuels).

L'un des premiers défis du community organiser, dont la profession est de faciliter la création d'un pouvoir local, consiste à lutter contre les préjugés que chaque organisation locale peut avoir vis-à-vis de ses voisines

Ce caractère durable de l'engagement porte particulièrement ses fruits lorsqu'il s'agit de demander des comptes aux élus. En effet, les promesses politiques sans lendemain ne sont possibles que si les citoyens sont dans l'incapacité de les rappeler. La pratique du community organising, en s'inscrivant dans une temporalité politique longue, change complètement la donne :
en étant liées, les organisations locales peuvent organiser des assemblées régulières où elles invitent les décideurs publics afin
d'évaluer leurs politiques et de ce fait être force de proposition auprès d'eux. C'est ainsi tout le processus décisionnel démocratique qui est renforcé, en donnant aux citoyens la possibilité de jouer un rôle majeur au quotidien et de retrouver la confiance en leur action sur la scène publique.

En effet, le community organising ne cherche pas à défendre les intérêts d'un groupe ou d'une profession donnée, mais tente plutôt de développer la culture du bien commun au travers de luttes menées par des citoyens de tous horizon

Durant ses premiers mois dans une nouvelle ville, le community organiser contacte en priorité des personnes jouant un rôle important dans la société civile : membres d'associations, syndicats de travailleurs et d'étudiants, prêtres ou imams.

Après leur rencontre avec le community organiser, ces premiers interlocuteurs entament des discussions avec les membres de leur organisation afin d'établir s'ils souhaitent aller plus avant dans la découverte de cette méthodologie. Si tel est le cas, ces derniers participent aux réunions et formations régulières animées par le community organiser, qui contribue ainsi peu à peu aux fondements d'un solide réseau d'organisations locales intéressées par l'exploration de l'organisation collective.

À ce stade, il n'est pas rare d'affermir ces relations nouvelles par la mise en œuvre d'une première campagne commune qui, en quelques mois, donne aux organisations une expérience partagée de l'action et le plaisir de participer à une aventure collective. Si cette première expérience est concluante, les dirigeants des organisations impliquées forment un comité de pilotage qui explore pendant une année la méthodologie du community organising. Une fois cette formation achevée, le comité de pilotage peut, si ses membres sont convaincus par les bénéfices de l'organisation collective, formaliser son travail et créer une Alliance Citoyenne. Pour ce faire, chaque organisation devient officiellement membre de cette institution nouvelle, à laquelle elle paye une cotisation annuelle équitable (qui dépend de sa taille et de ses ressources). Les cotisations servent principalement à rémunérer un community organiser, dont le travail est de poursuivre ses conversations intentionnelles dans la communauté, de recruter de nouvelles organisations, de mener des formations régulières et de faciliter la coopération entre membres de l'Alliance. Celle-ci décide par elle-même des actions et campagnes qu'elle souhaite mener : ses décisions sont prises à la majorité, et lors d'un vote chaque organisation dispose d'une seule voix.

Une fois l'Alliance constituée, elle peut entamer son premier
cycle d'action sociale, qui se déroule en trois étapes :

a) Formation, recherche et écoute :

Cette étape vise à développer les individus membres des organisations. Il s'agit de leur donner les outils nécessaires pour développer leurs relations au sein de la communauté, en menant des campagnes d'écoute régulières pendant lesquelles ils pratiquent les conversations intentionnelles. Le résultat de ces campagnes est l'établissement d'un programme d'action clair pour l’Alliance Citoyenne, dont les revendications stratégiques sont le fruit de recherches minutieuses et concertées.

b) Action :

Le terme d’« action » est ici utilisé en un
sens très large. Il s'agit de faire, pas à pas, les démarches
nécessaires pour obtenir gain de cause. Parfois, une simple
lettre suffit ! Si ce n'est pas le cas, tous les instruments
traditionnels de l'action légale et non violente sont mis en œuvre pour se faire entendre. Pragmatiquement, les membres de l'Alliance préfèrent toujours la menace à son exécution, et la négociation à la confrontation : il faudra parfois s'y reprendre à plusieurs fois pour obtenir exactement ce que l'on veut, mais le dialogue est toujours préférable à la simple opposition.

c) Évaluation :

Il s'agit de prendre du recul et d'interroger l'efficacité de l'action menée. A-t-on perturbé le
processus décisionnel traditionnel ? A-t-on gagné ? Qu'aurions-nous pu faire différemment ? Qui devons-nous davantage écouter ? Y a-t-il des organisations locales que nous souhaitons inviter dans l'Alliance ? Comment pouvons-nous développer davantage de pouvoir ?

Une fois ce premier cycle d'actions conduit à son terme, il convient pour les membres de l'Alliance d'apprendre de leurs premières erreurs, et d'en entamer un nouveau, en gardant à l'esprit que l'Alliance n'a pas de programme préétabli ni définitif et que l'écoute est au cœur de son exercice du pouvoir local.

Si, dans son ensemble, le processus qui mène des premières conversations intentionnelles au cycle de l'action sociale (en passant par la création formelle d'une Alliance Citoyenne) semble plutôt clair, il se révèle très complexe dans la pratique : comment réunir des organisations locales sans avoir a priori certaines actions concrètes à leur proposer ? Comment parler d'argent à des organisations qui souffrent de difficultés
financières ? Comment ne pas perdre, sur le long terme,
l'enthousiasme des premiers jours ? Il n'existe pas de réponse toute faite à ces questions, et seule l'expérience née de la pratique peut permettre de s'adapter aux particularités des acteurs locaux et de leur histoire.

Retour d'expérience

Toutefois, dans l'Essex, les
collectivités territoriales ne souhaitaient pas se prononcer sur la prise en charge de réfugiés syriens. En effet, les élus locaux craignaient que leur soutien public à des migrants tourne en leur défaveur et pèse dans les élections à venir. C'était en particulier
le cas du conseil municipal de Colchester. La ville, dont la
population a doublé en l'espace de cinquante ans, connaît une crise du logement chronique, ce qui conduit les habitants à se prononcer majoritairement contre l'immigration. De plus, la présence d'une garnison militaire en fait un lieu de recrutement pour les groupuscules nationalistes qui y organisent
régulièrement des rassemblements. Ainsi, dans un contexte social difficile, le devoir moral des élus était en contradiction avec leur intérêt politique, et il semblait que leur décision d'accueillir des Syriens (si celle-ci était prise) ne se ferait pas dans l'urgence. Les organisations de la société civile locale se sentaient impuissantes : comment lutter contre le racisme et la
xénophobie alors que le conseil municipal ne défendait pas publiquement la générosité et la tolérance ?

Cette lettre exprimait leur souhait de faire campagne
pour l'accueil de 50 familles de réfugiés syriens à Colchester.
Une réponse leur parvint en quelques jours à peine : le maire, impressionné, souhaitait rencontrer les organisations et travailler avec elles. Bien que ravies d'un tel progrès, les organisations locales avaient conscience que si cette première réunion se muait en démarche de « consultation » de la part des élus (un exercice d'écoute sans conséquences concrètes), les efforts de « Welcome Refugees Colchester » seraient vains. C'est ici que les outils du community organiser trouvèrent une application très concrète. Car il fut décidé de préparer un ordre du jour particulier pour la réunion. Plutôt que d'insister sur leurs revendications, les organisations locales auraient l'occasion de
se présenter, les unes après les autres, en insistant bien sur le nombre de leurs membres et de leurs partenaires. Cette démonstration de pouvoir, suivie par des demandes claires et précises adressées aux élus, se révéla efficace : les quinze organisations représentaient ensemble presque un millier d'électeurs.

En l'espace de quelques minutes, le maire comprit
qu'il ne maîtrisait pas l'agenda et que ce qui devait être une paisible consultation s'était transformé en négociation.

En signe d'ouverture, il offrit son soutien personnel à « Welcome Refugees Colchester » et s'engagea à entamer des discussions au conseil municipal. Comme cela avait été prévu dans le déroulé de la réunion, un représentant d'association lui demanda alors :
« Nous organisons une marche dans trois semaines, serez-vous des nôtres ? » Le Maire accepta et la marche, plutôt que de confronter des positions antagonistes, fut une célébration de l'histoire de Colchester (asile offert aux Huguenots au XVIIIe ainsi qu'aux réfugiés juifs pendant la Seconde Guerre mondiale). Semaine après semaine, « Welcome Refugees Colchester » gagna le respect du public et continua de négocier avec le conseil municipal jusqu'au vote, à l'unanimité, d'une
motion décidant de l'accueil de 50 familles de réfugiés à
Colchester en l'espace de cinq ans.

Par exemple, lors des élections municipales britanniques de 2016, les deux principaux candidats à la mairie de Londres furent invités à une assemblée par l'Alliance Citoyenne londonienne qui fêtait ses vingt ans.
Lors de cette assemblée, 6000 membres des organisations de l'Alliance firent part de leur propre agenda politique aux candidats. En particulier, ils affirmèrent leur volonté de militer pour l'encadrement des loyers, et demandèrent aux candidats s'ils souhaitaient soutenir cette proposition. En fonction des réponses qui leur seraient apportées, chacun des citoyens présents voterait avec un avis éclairé. Habituellement, une telle démarche n'aboutirait probablement à rien : les candidats pourraient s'en tirer à bon compte avec de simples promesses.
Cependant, face à une société civile forte et soudée, les
candidats ne peuvent compter sur une démobilisation soudaine.
Ainsi, lorsque Sadiq Khan fut élu maire de Londres, il fut
accueilli, lors de son investiture, par des élèves d'une école primaire voisine, qui vinrent le féliciter pour son élection. Ils lui remirent également la liste des promesses qu'il avait faites lors de l'assemblée. Six mois et quelques réunions plus tard, le
« Living Rent », mesure d'encadrement des loyers pour les nouveaux développements immobiliers, était annoncé par le maire de Londres.