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Le Guide du Routard de l'Organizing - Dave Beckwith - Organisez-vous !

organisez-vous.org · 58 min

On appelle community organizing le processus par lequel on construit du pouvoir :

(1) en amenant les habitant·e·s d’un quartier à identifier leurs problèmes communs, ainsi que les solutions qu’ils/elles souhaitent y apporter ;

(2) en identifiant les cibles (personnes ou structures) qui permettront de mettre en œuvre ces solutions ;

(3) en ayant recours à la persuasion et, si nécessaire, à la confrontation, pour négocier avec ces cibles ;

(4) en bâtissant une instance démocratique (« l’organisation ») qui incarnera la volonté et le pouvoir des habitant·e·s du quartier, et sera ensuite en mesure de s’attaquer à de nouveaux problèmes.

Il existe une théorie (n’y en a-t-il pas pour tout ?) qui dit que les gens ne s’engagent dans un groupe qu’à deux conditions. Premièrement, il faut qu’ils/elles s’aperçoivent qu’ils/elles sont directement concerné·e·s par les accomplissements du groupe (victoires ou défaites). Et deuxièmement, il faut qu’ils/elles prennent conscience que leur engagement personnel a un impact sur le travail du collectif. Cela fait sens : gagner est crucial, mais si le groupe peut l’emporter sans moi (c’est-à-dire si mon engagement personnel n’est pas décisif), alors autant que je reste chez moi devant ma télé.

Voici l’équation qui préside à la construction d’une nouvelle organisation :

BGBGBPR

Cela signifie : Battez-vous, Gagnez, Battez-vous, Gagnez, Battez-vous, Perdez, Redoublez d’efforts. Chaque collectif qui est en mesure de pouvoir choisir ses combats – c’est parfois impossible – doit prendre ce processus très au sérieux.

En résumé, si la confrontation ne fait pas partie de notre boîte à outils, les problèmes qui requièrent une véritable fermeté seront souvent mis de côté.

Immédiat, Spécifique et Atteignable

Avec ce sigle en tête, un·e organisateur·rice découpe et taille les « problèmes complexes » en « problèmes précis ». Il/Elle interprète, questionne les perceptions et tourne les situations dans tous les sens jusqu’à ce que celles-ci collent au plus près de ces trois critères (chez moi ce processus est devenu automatique après une douzaine d’années) :

Immédiat : Cela désigne le caractère imminent des bénéfices de la victoire ou des ravages de l’inaction. Par exemple, « Les bulldozers arrivent et vous serez à la rue demain » implique une plus grande urgence que « Souhaitez-vous rejoindre un groupe de développement local ?».

Spécifique : Il n’y a pas que les problèmes qui doivent être spécifiques, les solutions doivent l’être aussi. Par exemple : l’existence d’immeubles à l’abandon est un problème complexe. Et vouloir raser cet immeuble inoccupé avant la fin du mois est une revendication spécifique.

Atteignable : (« gagnable » est plus facile à épeler, mais ce n’est pas comme ça que j’ai appris les choses, donc qu’est-ce que je peux y faire ?) C’est le critère le plus difficile. En effet, il est facile de décrire un problème dramatique et global, qui soit hors de portée d’un collectif de locataires ou d’une organisation de quartier. Mais ce n’est pas un « problème précis », encore moins quand le collectif n’en est qu’à ses débuts. Cependant, la plupart des collectifs qui se sont organisés sont capables de lister des victoires que n’importe quelle personne saine d’esprit aurait jugées trop difficiles à atteindre. Par exemple, qui aurait cru qu’une poignée d’habitant·e·s inquiet·ète·s pour leurs enfants puisse obtenir du gouvernement qu’il rachète leurs maisons et reloge leurs familles, faisant ainsi entrer l’expression « Love Canal » dans le langage courant, comme symbole d’action populaire en faveur de l’environnement ? Qui aurait cru que les quartiers Est de Toledo pourraient obtenir l’accord et la construction d’une route à dix millions de dollars, construite en à peine 5 ans, et ouvrant de nouvelles opportunités professionnelles pour les habitant·e·s ?

En effet, avant de s’attaquer à un problème donné, l’organisateur·trice (bénévole ou salarié·e) doit porter un regard froid et intransigeant sur l’équilibre des forces en présence, afin de déterminer si l’effort d’organisation en vaut la peine. Par exemple il/elle se demande :

  • Qui sont les personnes affectées par ce problème, et est-ce que je peux les contacter ?
  • A quel point est-ce que ce problème les frappe, et à quel point est-ce qu’ils/elles veulent se battre ?
  • Est-ce qu’ils/elles peuvent s’en tirer autrement, ou est-ce que faire face et se battre est la seule possibilité qu’il leur reste ?
  • De quelles ressources aurions-nous besoin, et pouvons-nous les obtenir ?
  • Face à nous, qui profite du statu quo, et dans quelle mesure ?
  • Nos adversaires pourraient-ils facilement nous donner ce que l’on demande, ou est-ce que cela leur coûterait – et combien ?
  • Autour de nous, quelles autres personnes sont affectées, positivement ou négativement, par le statu quo actuel ?
  • Comment la solution que nous promouvons modifierait-elle l’équilibre des choses ?
  • Serait-il possible d’opter pour une solution différente qui serait tout aussi bénéfique, mais qui permettrait au groupe de se faire plus d’ami·e·s ou d’allié·e·s ?

LES DIX RÈGLES D’OR DU COMMUNITY ORGANIZING

  1. Personne ne viendra à la réunion à moins d’avoir une bonne raison de venir à la réunion.
  2. Personne ne viendra à la réunion si personne ne sait qu’elle a lieu.
  3. Si une organisation ne grandit pas, elle est vouée à disparaître.
  4. N’importe qui peut être un·e leader·euse.
  5. La victoire la plus importante, c’est le groupe lui-même.
  6. Parfois, gagner c’est perdre.
  7. Parfois, gagner c’est gagner.
  8. Si ce que vous voulez ne vous amène pas à vous BATTRE, c’est que vous n’en demandez pas assez.
  9. Célébrez vos victoires !
  10. Eclatez-vous !

Tout d’abord, la revendication doit être définie clairement, les objectifs doivent être établis, et la cible doit être sélectionnée.

Il est nécessaire d’anticiper tous les « et si… » lors du processus de planification. Il y a habituellement trois dénouements possibles pour un plan. Si vous avez invité le/la maire à votre réunion : soit il/elle viendra ; soit il/elle ne viendra pas ; soit il/elle enverra une autre personne pour le/la représenter (ce n’est en réalité qu’une variation du fait de ne pas venir, mais mettons qu’il s’agit d’une troisième alternative).

L’équipe chargée de la planification doit anticiper la réponse du collectif à ces trois possibilités :

  • Si le/la maire vient, comment sera-t-il/elle accueilli·e, où sera-t-il/elle invité·e à s’asseoir, quel temps de parole lui sera alloué, est-ce qu’il/elle parlera en premier, ou sera-t-il/elle encouragé·e à répondre aux questions du groupe, assistera-t-il/elle à toute la durée de la réunion ou sera-t-il/elle invité·e à partir après un certain temps ? Une réponse doit être apportée à toutes ces questions.
  • S’il/elle ne vient pas, quand le saura-t-on, et est-ce qu’il est possible/souhaitable de lui faire changer d’avis, par exemple en organisant une action collective à la mairie ou au terrain de golf ?
  • S’il/elle envoie un·e représentant·e, de qui s’agira-t-il, et est-ce que le groupe accepte sa venue, ou non ?

De la même manière, le·a maire peut répondre aux demandes du groupe de trois manières différentes : oui ; non ou bof/peut-être :

  • S’il/elle dit oui, peut-on l’amener à un accord spécifique et réalisable ? S’il/elle dit oui tout de suite, est-ce qu’il y a quoi que ce soit d’autre à lui demander tant qu’il/elle est de bonne humeur ?
  • Si c’est un non pur et simple, y a-t-il un recours possible, ou une solution de repli ? Est-il possible d’amener le/la maire à recommander que quelqu’un d’autre fasse autre chose ? Est-il possible de passer à la prochaine étape pour l’amener à changer d’avis ? Qui présidera la réunion à ce moment-là, et sera-t-il possible d’obtenir des concessions, à l’aide d’huées et de sifflements, plutôt que de simplement abandonner la partie ?
  • Finalement, si le-a maire dit peut-être ou bof, est-ce que le/la président·e de séance peut catégoriser sa réponse comme étant en fait un non pour pousser le/la maire à dire oui de manière plus claire ? Le/la maire peut-il-elle être impliqué·e dans la prochaine étape de manière à ce que ce peut-être/bof soit transformé soit en oui, soit en non ? En réalité, ce dont le groupe doit parler, c’est que la plupart des peut-être/bof veulent en fait dire « NON » et qu’il est possible de se préparer à rejeter ce genre de réponse. Un groupe de planification peut s’appuyer sur l’expérience de ses membres en termes de réunions et d’accords afin de déterminer ce qui, au juste, constitue vraiment un oui ou un non. Le plus important, c’est que la prochaine étape soit déjà en place de manière à ce qu’un non ou un peut-être/bof ne signifie pas la fin de la réunion, mais que le groupe soit capable d’annoncer qu’il sera à la mairie mardi pour dénoncer ce manque de coopération, ou qu’il compte demander une nouvelle loi à l’Etat pour forcer la ville à faire telle chose, en commençant dès le lundi suivant avec une conférence de presse, etc.

Ne faites jamais de menaces en vain lors de la mise en œuvre d’un plan. Les menaces sont particulièrement importantes, mais si vous êtes incapables de les mettre à exécution, vous perdrez toute crédibilité pour un très long moment.

Enfin, lorsqu’une réunion a pour objectif d’obtenir un accord de la part d’une personne, la réunion devrait être structurée de manière à graver cet accord dans le marbre. Deux techniques testées et éprouvées pour y arriver sont l’accord écrit et la rédaction d’un rapport. Souvent, une personnalité publique ou une cible peut être amenée à signer un accord écrit qui reflète la revendication du groupe. Si elle le fait, c’est un signe clair que sa réponse est vraiment oui. Si elle ne signe pas, généralement, elle vous expliquera clairement ce qu’elle veut dire, et signera parfois une version révisée du document pour bien clarifier ce pour quoi elle donne son accord. Une autre approche consiste à préparer une liste écrite de requêtes, avec à côté une colonne intitulée OUI et une autre colonne intitulée NON pouvant être cochées pendant la réunion. Cette méthode constitue pour le/la président·e de séance une manière d’obtenir de la part de la cible une réponse plus précise que « je vais faire de mon mieux ». Il est très simple de structurer une réunion autour d’une telle liste de requêtes, quelle que soit la technique employée.

Évaluer la réussite de vos efforts est une étape cruciale dans toute campagne. Il ne faut d’ailleurs surtout pas attendre que tout soit fini pour vous demander si vous avez été efficaces. Vos efforts doivent être analysés et évalués tout au long de la mise en œuvre de votre stratégie et vos tactiques :

  1. Est-ce que notre stratégie nous permet d’obtenir les résultats attendus : sommes-nous désormais plus proches de notre but ?

  2. Qu’est-ce qui marche, et qu’est-ce qui ne marche pas ?

  3. Est-ce que les tâches et actions que nous réalisons fonctionnent : est-ce qu’elles permettent aux groupes d’obtenir de nouveaux soutiens ?