Elle montre que le renforcement de la surveillance électronique réduit les marges de manœuvres des employés pour résister à l'intensification du travail, renvoyant les injonctions contradictoires que reçoit le travailleur à un conflit avec sa machine, au détriment d'un conflit avec ceux qui l'exploitent, c'est-à-dire et au détriment de la politisation et de la collectivisation des conflits liés aux conditions de travail.
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Added by Maïtané
Pourtant, cette surveillance n'accroît pas la performance, au contraire. Une méta-analyse a montré qu'elle accentue le stress et les attitudes négatives des employés. Plus elle s'intensifie et plus la performance s'effondre. (…) Une étude Microsoft sur plus de 20 000 employés concluait également à la contre-productivité de la surveillance et dénonçait même le "théâtre de la productivité", c'est-à-dire que les employés passaient trop de temps à produire des signaux de travail plutôt que de travailler.
en surveillant les entreprises dont les taux d'accidents du travail sont supérieurs à la moyenne, ce qui peut laisser penser justement à un cadencement du travail trop élevé, comme l'a montré Reed Shaw en regardant pourquoi le taux de blessure dans les entrepôts d'Amazon était deux fois supérieur à la moyenne américaine. Pour lui, le fait qu'Amazon surveille le temps pendant lequel les travailleurs sont inactifs entre deux colis scannés explique l'intensification du travail et donc la montée du taux d'accidents.
la question de la sécurité au travail devient un score que les employés doivent respecter, quand ils ne sont pas renvoyés à une forme de compétition entre eux. Les outils d'analyses intégrés fournissent une mine de données granulaires sur chaque travailleur en surveillant les mouvements, les inclinaisons, les torsions, les portages que chacun accomplit.
Pour les responsables de StrongArm ou de Modjul, ces données ne doivent pas être utilisées de manières punitives, mais doivent permettre d'identifier les emplois et postes qui posent problèmes pour les améliorer. Or, rien dans leur usage n'assure que les entreprises ne les utiliseront pas pour accabler les travailleurs. Les blessures dans les entrepôts d'Amazon, pourtant très automatisés, sont élevées et n'ont cessé d'augmenter ces dernières années (6 à 9 blessures pour 100 employés chez Amazon contre 3 à 4 pour 100 employés chez Walmart). Reste que si votre travail vous oblige à vous pencher pour être réalisé, un appareil vibrant n'y changera rien. C'est la tâche et le poste de travail qu'il faut revoir où les situations où les gens ont tendance à être en difficulté.
Pour Debbie Berkovitz, experte en protection des salariés, ces appareils ne font qu'informer de ce que ces entreprises savent très bien : elles connaissent déjà les personnes qui ont des douleurs et les postes qui génèrent des douleurs et des blessures. Pour l'ergonome Richard Gogins, le problème n'est pas nécessairement les mauvais mouvements et les mauvaises positions, c'est souvent les objectifs élevés et les cadences trop fortes qui poussent les gens à faire de mauvais mouvements.
La précarité, le manque de prévention dans nombre de secteurs qui paraissent peu propices aux accidents graves viennent renforcer leur invisibilisation, du fait de leur sous-déclaration. Une sous-déclaration qui est à la fois le fait des entreprises, mais également des salariés précarisés. Reste que quand les employés sont abîmés par le travail, c'est d'abord eux qui en supportent les conséquences, d'abord et avant tout en ne pouvant plus accomplir ce travail. Les risques professionnels sont profondément liés à l'intensification, rappelle le sociologue Arnaud Mias qui souligne, lui aussi, que le travail devient insoutenable par déni de diversité du fait de la standardisation des indicateurs. En comparant tous les employés entre eux, la moyenne de leurs performances à tendance à discriminer ceux qui s'en éloignent. A terme, le risque est que les données favorisent le stakhanovisme. La compétition entre travailleurs qu'induit la surveillance des indicateurs de productivité risque de favoriser l'exclusion de tous ceux qui n'entrent pas dans la course parce que trop vieux, trop faibles… Le pilotage par les indicateurs de productivité risque de renforcer partout les discriminations.
Louis Hyman, avait montré que l'invention du travail intérimaire puis temporaire était une entreprise idéologique. Peu à peu, pour les entreprises, la stabilité de l'emploi est devenu un problème plutôt qu'un but. L'invention du contrat à durée déterminée (CDD) en 1979 en France n'était pas qu'une solution à la crise économique. Il marque aussi le début d'une dérégulation des conditions de travail qui ne va pas cesser de s'accélérer avec la montée de l'externalisation, la micro-entreprise, les contrats zéro-heures, l'ubérisation…
le sociologue ne parle pas beaucoup des outils numériques visiblement, il observe seulement l'impact qu'ont eu les horaires flexibles et le temps partiel sur la disciplinarisation des travailleurs. La disparition de la sécurité qu'offrait un travail à temps plein a conduit les travailleurs précaires à se discipliner pour obtenir leurs quotas d'heures. Pour obtenir les heures promises, ils doivent accepter les contraintes qui vont avec, comme les horaires fragmentés et une disponibilité à la demande, en temps réel. Wood montre d'ailleurs que les employés qui se soumettent le mieux aux injonctions sont aussi ceux qui obtiennent, en récompense, les meilleurs horaires. La précarisation renforce l'autoritarisme des organisations.