Et si l’inflation était de plus en plus un problème de confidentialité des données et de surveillance technologique, et non un problème de demande globale ?
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Added by Maïtané
Dès les années 70, les compagnies aériennes ont commencé à augmenter leurs prix lors des pics de demande. A l'aube des années 2000, Coca-Cola imaginait faire varier le prix des distributeurs en fonction de la température extérieure. Aujourd'hui, la pratique des variations de tarifs est partout, des chambres d'hôtels aux concerts. Amazon modifie ses prix en continu et les magasins physiques se mettent aux étiquettes numériques pour pouvoir faire varier les prix des produits en linéaires. Reste que le modèle d'adaptation des prix à la demande a surtout été popularisé par les services de covoiturage comme Uber et Lyft.
La juriste Veena Dubal dénonce la mise en place d'une "discrimination salariale algorithmique" qui ne permet ni de prédire ni de comprendre sa rémunération.
L'optimisation des tarifs se fait désormais des deux côtés de l'équation : "l’application Uber calcule mon prix en fonction de ce qu’elle pense que je paierai, et elle calcule le tarif du chauffeur en fonction de ce qu’elle pense qu’il acceptera pour le voyage que je souhaite effectuer." Une politique qui a permis à Uber d'éliminer la concurrence, d'accroître ses marges et d'enfin dégager des bénéfices. Mais qui laisse les deux tenants de l'appariement, le chauffeur comme le client, particulièrement démunis face à une optimisation de la tarification sous stéroïdes algorithmiques.
Un autre article de Prospect revient quant à lui sur la faillite de la régulation. Le journaliste Luke Goldstein rappelle d'abord que le recul du contrôle des prix aériens aux Etats-Unis a été promulguée par Jimmy Carter via l'Airline Deregulation Act de 1978. Dans un premier temps, cette dérégulation a démultiplié la concurrence conduisant à des baisses de tarifs de l'aérien. Pour remédier à cette guerre des prix, les compagnies aériennes ont confié leurs tarifs à l'Airline Tariff Publishing Company (Atpco), qui les a numérisés pour que les compagnies puissent accéder aux tarifs des uns et des autres. L'Atpco ne fixe pas les tarifs, mais permet aux entreprises de s'aligner les unes les autres en partageant leurs informations tarifaires. Cette collusion tarifaire aurait dû donner lieu à des poursuites pour entrave à la concurrence, mais l'Atpco a négocié avec le ministère de la Justice américain pour les éviter. Les tarifs des compagnies aériennes n'ont plus baissé et se sont harmonisés. Quant à la logique de fixation des prix par un tiers, elle s'est répandue dans d'autres secteurs comme le logement, l'agriculture, l'hôtellerie ou la santé.
Pour Roper, les propriétaires avaient souvent trop d'empathie envers leurs locataires, ce qui les empêchait d'augmenter leurs prix quand le marché immobilier augmentait. D'où l'idée de remplacer les décisions sur les prix par des algorithmes permettant de réévaluer les loyers en fonction du marché. À Seattle, par exemple, l'une des villes les plus chères des Etats-Unis en matière de loyer, une dizaine de gestionnaires immobiliers contrôlent la majorité des appartements dans les quartiers les plus recherchés. Dans la zone métropolitaine de Washington, plus de 90 % des logements situés dans de grands immeubles sont évalués à l’aide du logiciel RealPage… et les loyers ont grimpé en flèche.
Dans les organismes de régulation américains, un consensus émerge pour dire que les algorithmes de ce type produisent une collusion de fait, c'est-à -dire une pratique anticoncurrentielle, une entente illicite, un cartel de fait… qui devrait normalement répondre des lois favorisant la concurrence. Ce n'est pourtant pas ainsi que le voient certains juges américains confrontés à ces affaires, comme l'explique Lee Hepner. Certains jugements ont refusé les poursuites au prétexte que les plaignants n'avaient pas réussi à démontrer une collusion, c'est-à -dire un accord formel derrière les décisions d'une machine. Une difficulté rendue d'autant plus compliquée que les calculs sont inaccessibles aux opposants.
L'avènement de la société du matching n'a pour l'instant rien de désirable. L'idée d'un avenir parcoursupisé ou tinderisé, qui en échange de notre plus grande transparence, ne nous promet rien d'autre que d'être lus et analysés par d'autres selon des modalités sur lesquelles nous n'avons aucun levier d'action ne me semble pas un horizon désirable. Sans augmenter nos capacités de levier et de pouvoir sur ces calculs faits par devers nous, la société du matching n'a aucun progrès démocratique à nous proposer.