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« Il avait peur de ne pas y arriver » : pourquoi tant d'agriculteurs se suicident-ils ?

basta.media · 14 min

Les agriculteurs en difficulté font souvent face à des courriers répétés qui s’empilent sur les tables de la cuisine sans être lu... notamment pour régler les cotisations à la Mutualité sociale agricole, les crédits aux banques ou aux coopératives. Que conseillez-vous ?

Il faut arrêter d’envoyer des rappels alors que les agriculteurs sont sous l’eau, qu’ils ne peuvent pas payer et qu’ils s’angoissent seuls chez eux. La MSA doit rencontrer les gens. On voit bien la différence entre le numéro vert de la MSA à qui l’on peut dire « si vous venez pas je me suicide », sans qu’il n’y ait personne au bout de fil parce que c’est vendredi, samedi ou dimanche ; et des gens comme Solidarité paysans qui vont chez des personnes pour voir ce qui ne va pas, aider à réorganiser les budgets, en étant complètement conscients de la solitude.

Ce qui est ici en question c’est le rapport à l’école. On entre dans le métier en délaissant une part des savoirs qui, aujourd’hui, sont nécessaires pour faire fonctionner une exploitation : la comptabilité gestion et les demandes de subventions notamment. Beaucoup d’agriculteurs ne se sentent pas capables de faire face à tout ce travail administratif qu’ils appellent tous « la paperasserie ».

(Travail qui est fait par leurs femmes ou leurs mères)

L’autre aspect est que ceux qui se suicident sont plutôt sous-diplômés par rapport à la population des jeunes en formation. Ils sont aussi souvent sans conjointe ou sans femme à la maison – dans le cas où la mère est décédée par exemple. Or, ce sont elles qui, généralement, gèrent le fonctionnement de l’entreprise. Se retrouver sans personne pour faire ce travail administratif et être peu diplômé, sont deux éléments très importants dans le passage à l’acte. Sans parler des conflits intrafamiliaux : des pères qui ne veulent pas laisser leur place, ce qui fait que le jeune n’arrive pas à trouver la sienne, les difficultés de cohabitation entre belle mère et belle fille... Les facteurs sont pluriels.

On a fait des enquêtes où les femmes racontent comment elles apportent le courrier à leur mari ou à leur fils au moment des repas. Elles leur donnent les papiers entassés sur la table de la cuisine en disant « regardez, ça ne va plus ». Et elles savent que les hommes vont leur dire « débrouille toi » jusqu’à ce que ce soit la catastrophe. Il apparaît régulièrement qu’un agriculteur se soit suicidé après que sa femme avait décidé de travailler à l’extérieur, parce qu’elle en avait assez de faire le travail d’administration de l’exploitation.

Ce que j’ai vu en revanche, ce sont des fils qui reprennent l’exploitation et qui n’ont pas fait d’étude. La mère s’occupe de l’administratif et le père donne ses ordres le matin, sans autonomie du fils, même si celui-ci a 40 ans. Lorsque ce dernier perd son père ou sa mère, le risque de suicide est très important.

Ce sont des fils désemparés quand il n’y a plus un des parents car il n’y a pas d’autonomie du tout. Ils n’ont jamais fait autre chose que ce qu’on leur disait de faire. Toutes les personnes qu’on a interviewées sont dans des situations de sur-travail pour ne pas penser. En l’occurrence c’est donc plutôt l’héritier que le cédant qui, par manque d’autonomie, peut se retrouver dans une situation à risque.

Lorsque la mère meurt, c’est un moment très critique. Quand on regarde qui fait le travail administratif, c’est toujours une femme. La profession n’est pas libérée du poids du lien entre famille et travail. C’est très vrai dans l’élevage, mais aussi dans d’autres filières comme la viticulture.

Il y a vraiment un problème genré – qui n’est pas propre uniquement à la profession agricole – sur lequel l’enseignement doit sensibiliser. Un changement des rapports sociaux de genre est nécessaire.