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Binarités dans le récit du pouvoir et du contrôle

zine-le-village.fr · 44 min

En cohérence avec l’histoire selon laquelle la maltraitance « fonctionne », le métarécit du pouvoir et du contrôle décrit les hommes comme ayant du pouvoir et étant en contrôle. La pensée binaire amène les conseillers et conseillères à croire qu’une personne est soit puissante, soit impuissante, et empêche les travailleurs sociaux de considérer que les hommes puissent être puissants et impuissants en même temps.

Souvent, les hommes ont du pouvoir et du contrôle dans la relation. En même temps, le métarécit du pouvoir et du contrôle nous empêchait de remarquer les expériences d’impuissance qu’ils pouvaient vivre, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du cadre des relations intimes. Pour de nombreux hommes, battre leur compagne n’apporte qu’une brève sensation de pouvoir et de contrôle sur leur relation. Souvent, cette sensation fugace est rapidement remplacée par de la honte, du dégoût de soi et un sentiment d’impuissance à transformer leur relation ou à se changer eux-mêmes. De même, de nombreux hommes avec qui je travaille ressentent une dépendance émotionnelle et sociale extrême vis-à-vis de leur compagne. Bien des hommes, désespérés, disent : « elle est tout ce que j’ai ». La dépendance sociale et émotionnelle des hommes à leur compagne provoque souvent chez eux des sentiments d’impuissance sur leur vie émotionnelle et leurs relations aux autres [Jenkins 1990].

Je me suis rendu compte que mettre en valeur les ressentis de besoin, de dépendance et d’impuissance dans leurs relations intimes était important pour que les hommes mettent fin à leurs comportements violents. Amener les hommes à se distancier de ce qui est socialement attendu d’eux – à savoir, dépendre de leur compagne pour qu’elle réponde à leurs besoins socio-émotionnels – peut être important pour mettre fin aux abus [Jenkins 1990, Kaine et al. 2000]. Faire prendre aux hommes la responsabilité de leur propre indépendance sociale et émotionnelle dans les relations intimes leur donne une sensation de pouvoir et de contrôle sur leurs propres émotions et leurs relations. Cette sensation de pouvoir et de contrôle semble diminuer les maltraitances. En ignorant la dépendance des hommes aux femmes, l’histoire du pouvoir et du contrôle semble risquer de reproduire la masculinité dominante en invisibilisant la manière dont les hommes dépendent des femmes et du « travail féminin » qui est fait dans leurs vies.

Je négligeais aussi les expériences d’impuissance, d’injustice et de violence subies dans leur vécu parce que je ne réalisais pas comment ces histoires pouvaient être utiles pour mettre fin aux violences commises par les hommes [Jenkins 1998]. Je pensais qu’ils n’allaient, ou ne pouvaient, que raconter ces histoires de manière irresponsable, pour excuser leurs comportements maltraitants. Nous ne savions pas comment inviter les hommes à raconter ces histoires d’une manière qui les amènerait à prendre plus de responsabilité pour leur propre violence. Un des travailleurs que j’ai interrogés, Derrick, dit avoir du mal avec la dichotomie victime/auteur et explique son désir de la dépasser :

Contrairement aux conseillers et aux conseillères qui adoptent des postures confrontationnelles face à la minimisation et au déni, Jenkins interrompt respectueusement les histoires déresponsabilisantes et, à d’autres moments, « normalise » la minimisation et le déni comme des preuves qu’ils ressentent de la honte [Jenkins 1998]. Il invite les hommes à voir leur honte comme une preuve qu’ils n’aiment pas leur propre violence, comme un signe qu’ils ne se comportent pas d’une manière qui correspond à ce qu’ils voudraient pour leurs familles.