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« Les hommes sont spécialisés dans le travail rémunéré, les femmes dans le travail gratuit »

basta.media · 21 min

Les hommes sont en effet spécialisés dans le travail rémunéré, auquel ils consacrent l’essentiel de leur temps et les femmes sont spécialisées dans le travail domestique gratuit.

Les femmes ayant acquis une certaine indépendance économique, la relation conjugale serait libérée des contraintes économiques. Notre travail démontre évidemment le contraire, avec la question centrale de la division sexuée du travail. Au sein des couples hétérosexuels, les femmes travaillent, mais n’accumulent pas.

Les hommes sont en effet spécialisés dans le travail rémunéré, auquel ils consacrent l’essentiel de leur temps et les femmes sont spécialisées dans le travail domestique gratuit. Si on se réfère à l’enquête « emploi du temps » de l’Insee de 2010 des couples avec enfants, on voit que les femmes travaillent 54 heures par semaine, et les hommes 51 heures. Ils ont donc trois heures de loisir en plus que les femmes, par semaine. Et tandis que les deux tiers du temps des femmes sont consacrés au travail domestique gratuit, les deux tiers de celui des hommes sont consacrés au travail rémunéré.

On sait aussi que près d’une femme sur deux réduit son activité après la naissance des enfants, contre un père sur neuf. Tout cela explique les très fortes inégalités de revenus entre conjoints, 42 % en moyenne, alors même que les femmes sont souvent plus diplômées que les hommes. Pour les personnes vivant seul.es, ces inégalités ne sont que de 9 %. Les hommes s’appuient sur le travail gratuit des femmes pour faire carrière et les femmes s’appauvrissent au bénéfice des hommes.

De ce fait, on saisit surtout les inégalités au moment des séparations, avec un niveau de vie qui diminue en moyenne de 19 % pour les femmes, contre 2,5 % pour les hommes

On découvre dans votre enquête que les notaires et avocats sont des acteurs insoupçonnés du creusement et de la reproduction des inégalités entre les femmes et les hommes. Les arrangements qui ont lieu dans le secret de leurs cabinets lors des divorces ou des héritages convergent généralement avec les intérêts des hommes. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Notaires et avocat·es ont des pratiques professionnelles qui valorisent l’accord. Prenons la situation typique d’un divorce avec une entreprise familiale. C’est le mari qui garde l’entreprise. L’épouse souhaite obtenir une compensation financière, mais pas au point de compromettre la situation financière de l’entreprise. Il y a très peu de chances pour qu’un·e notaire ou un·e avocat·e dise : « Ah non, attendez, dans ces conditions Madame ne va pas recevoir la prestation qu’elle devrait. Elle pourrait demander plus... » Les avocat·es ne veulent pas être trop « contentieux ». Les notaires mettent en avant leur rôle dans le maintien de « la paix des familles ». Ces valeurs les amènent à entériner les rapports de pouvoir et de domination.

Le second élément à prendre en compte, c’est l’origine sociale de ces professionnel·les. Parmi la vingtaine de notaires que nous avons rencontré.es, une seule n’était pas fille de travailleur indépendant. On avait des enfants de notaires, de pharmaciens, de restaurateurs…. c’est à dire des personnes issues de familles dans lesquelles la transmission d’un bien structurant est quelque chose de très important. Ils et elles partagent avec beaucoup de leurs client·es – et le reste de la société – l’idée que celui qui est le plus apte à gérer une entreprise ou un bien immobilier, et bien, souvent, c’est un homme.

On a vu passer des divorces avec une entreprise familiale dans laquelle la femme travaillait à temps plein, de façon plus ou moins reconnue, parfois pas reconnue du tout… Cela paraissait évident à tout le monde que c’était à l’ex-époux que devait revenir l’entreprise. Il fallait qu’il reste propriétaire du capital de l’entreprise et que l’ex épouse se contente de compensations subordonnées au maintien de la rentabilité de l’entreprise. Alors même que ces compensations devraient être d’autant plus importantes que son travail n’a pas été reconnu par un salaire, et qu’elle n’a pas accumulé de droits à la retraite.

Pour fixer une pension alimentaire, la question principale reste : « combien le père peut payer ? » Et les femmes se débrouillent ensuite. Ou elles n’ont qu’à se tourner vers l’État pour avoir des aides.