entre septembre et décembre 2021, l’émission-phare du non moins animateur-phare de Vincent Bolloré a consacré 44,7 % de son temps d’antenne politique au candidat du parti Reconquête. [Eric Zemmour]
lesjours.fr · 2 min
Added by Maïtané
même pendant la période d’égalité en fin de campagne, 29,7 % des sujets politiques chez Hanouna étaient consacrés à Éric Zemmour, tout juste dépassé par Emmanuel Macron (31 %). « De janvier à avril 2022, écrit Claire Sécail, l’analyse quantitative des temps d’antenne/parole montre que l’émission a largement favorisé les candidats d’extrême droite et toujours en particulier Éric Zemmour. » L’animateur a ainsi « maintenu une vision bipolarisée de la compétition électorale entre Éric Zemmour et Emmanuel Macron » tandis que tous les autres candidats étaient « invisibilisés quantitativement et parfois disqualifiées qualitativement ».
Je mobilise des notions qui sont éprouvées en recherche depuis les années 1970, telle la « mise à l’agenda » : qu’est-ce qu’on donne à voir et à penser au public plutôt qu’autre chose, sur une personne, un thème… Donc je vais compter du temps d’antenne pour un candidat même s’il y a des critiques émises sur le plateau parce qu’il est centralisé, qu’on ne parle pas d’un autre. Alors que l’Arcom va faire une distinction entre du positif et du négatif. Quand un propos n’est pas favorable à un candidat, il ne va pas le compter dans le temps d’antenne.
Vous avez un exemple de « mise à l’agenda » ?
Mon propre exemple ! Quand Cyril Hanouna m’a bashée quand j’ai sorti la première partie de l’étude en janvier, il a montré que j’avais raison de raisonner comme ça. Il a passé vingt minutes avec ses invités et ses chroniqueurs à faire du bashing de mon travail, de ma personne. Qu’est ce que j’y ai gagné ? De la notoriété : dans les 24 heures qui ont suivi, j’ai eu des tas d’abonnés sur mon compte Twitter. Je n’en demandais pas tant, mais voilà un exemple positif de la « mise à l’agenda », profitable indépendamment de la façon dont on parle de la personne. Il n’y a pas de bad buzz. Donc quand Cyril Hanouna fait des plateaux autour d’Éric Zemmour, même si les chroniqueurs disent « je ne suis pas d’accord avec lui », il fait quand même son agenda parce que ce candidat-là bénéficie d’une audience, d’autant plus que les plateaux politiques dans TPMP sont aux heures les plus exposées, dans la deuxième partie de l’émission.
Ce qui broie les invités et ceux qui pensent pouvoir tirer un bénéfice de leur présence en plateau, c’est que le dispositif est plus fort. On l’a vu avec Jean-Luc Mélenchon dans Face à Baba [l’émission strictement politique d’Hanouna durant la campagne, ndlr] : la distribution et les modes d’échanges très antagonistes ne permettent pas de développer une parole, d’imposer une réflexion. Jean-Luc Mélenchon s’est construit un ethos très tôt face à Éric Zemmour – ça l’intéresse d’avoir des matchs de boxe – et Cyril Hanouna lui offre ça sur un plateau. Mais dans ce Face à Baba, Jean-Luc Mélenchon s’est fait voler la vedette par son duel avec Éric Zemmour, sur les thématiques d’Éric Zemmour (notamment l’immigration), qui a duré une éternité.
Sur la période d’égalité des temps de parole, c’est-à-dire les quinze derniers jours de la campagne, Mélenchon était tombé à 3,2 % dans TPMP. Il n’était pas dans l’émission d’avant, Le 6 à 7, un programme autour de 350 à 380 000 téléspectateurs où beaucoup de candidats ont été placés pour corriger des temps d’antenne déficitaires. En fait, il est passé le 7 avril entre 23 h 15 et 23 h 47 avec d’autres candidats devant 90 000 téléspectateurs à tout casser…
Parallèlement, vous montrez que Cyril Hanouna met en avant Fabien Roussel…
Non seulement Mélenchon disparaît, mais le communiste Fabien Roussel devient un candidat qu’on adore chez Cyril Hanouna, c’est « la révélation de l’élection », je le cite. Ça, c’est une combinaison qui me sidère parce qu’elle est interprétable d’un point de vue politique : quelles sont les intentions de la production et du groupe ? Je vois l’effet de deux évolutions : une mécanique défavorable, une invisibilisation de Jean-Luc Mélenchon qui, pourtant, dans les sondages, est en train de casser la baraque, et une mécanique positive en faveur de Fabien Roussel. Ça fait réfléchir quand on se souvient de la rancœur des Insoumis à l’égard de Fabien Roussel, disant que si les voix qui se sont portées sur lui étaient allées à Jean-Luc Mélenchon, il aurait pu être au second tour. Jean-Luc Mélenchon est le seul candidat lésé à ce point par Cyril Hanouna dans cette période d’égalité.
C’est un but civilisationnel chez Vincent Bolloré de voir cette confrontation de deux France… et pour lui de défendre l’une plus que l’autre. J’analyse ce que Cyril Hanouna nous montre mais aussi ce qu’il ne nous montre pas. Le réchauffement climatique, par exemple, est absent de ses plateaux
Je suis aussi frappée de la façon dont des paroles n’existent pas : chez Hanouna, la parole des corps intermédiaires, la parole des institutions, ce qui fait qu’un individu n’est pas seulement confronté à un autre individu n’apparaît jamais. J’ai beaucoup travaillé sur les faits divers et on essaie de voir ce qu’ils reflètent de la société. Mais chez Cyril Hanouna, ça reste un moment d’opposition, parce que c’est un moment de télé avant tout. À chaque fois, ce sont des individus qui ont des souffrances à exprimer et il n’y a pas de structure sociale derrière. Et ça, ça nourrit du populisme pénal.
Pendant huit mois, je me suis posé la question : « Est-ce que ça ne peut pas profiter à des jeunes, quand même ? » Eh bien non, parce que derrière, il y a toujours le dispositif. Cyril Hanouna dit par exemple souvent qu’on peut tout dire dans son émission. Mais non on ne peut pas tout dire. Parce que les modalités d’échange que Cyril Hanouna dicte en plateau ne permettent pas de tout dire, il coupe la parole, il empêche ses invités de dérouler une pensée avec laquelle il n’est pas d’accord : « Non, c’est pas le sujet », « Là, vous dites une connerie », « Donneur de leçon » : c’est des techniques pour reprendre la main. Il y a aussi la petite vanne, la petite remarque d’un chroniqueur qui fait que tout est sapé, qu’on déconstruit tout et que plus rien n’a de sens.
Finalement, c’est qui Cyril Hanouna, au terme de votre observation ? Un homme d’affaires avisé, un animateur cynique, un pompier pyromane, la gâchette de la guerre culturelle de Bolloré ?
C’est d’abord un homme de réseaux, qui a très bien compris que la flatterie fonctionne. Le moule Bolloré se voit à l’écran : Cyril Hanouna réplique à l’échelle de son plateau les valeurs de fidélité et de loyauté que Vincent Bolloré défend à l’intérieur de son groupe. Dans la guerre d’influence de Bolloré, Hanouna est à la fois un complice et une marionnette. Cyril Hanouna est un pilier de ce groupe dans l’entreprise idéologique de Vincent Bolloré. Il a une autre vision de lui-même, mais il accepte d’être au service de Vincent Bolloré pour capter des jeunes, pour entretenir des fractures au sein de la société parce que ça fait monter des thématiques qui l’intéressent. Et C8 ne se réduit pas à Cyril Hanouna : en plus des messes et des téléfilms sur la religion (lire l’épisode 170, « Vincent Bolloré, totalement fou des messes »), la chaîne diffuse un documentaire sur le Puy du Fou raconté par Philippe de Villiers. On voit bien la logique de groupe derrière : elle enrôle tous les espaces, tous les contenus possibles pour diffuser des idées, pour véhiculer ces valeurs ultraconservatrices et attiser une certaine représentation de la société. Et le mode d’Hanouna, binaire, se fond complètement dans cet objectif-là : c’est du clash, il veut en faire un spectacle, mais pour Bolloré, c’est de la fracture entre deux catégories irréconciliables de la société, c’est sa guerre civilisationnelle.