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defenseurdesdroits.fr · < 1 min

Intro

Pourtant, dans notre pays, chaque jour, des usagères et des usagers sont confrontés à l’impossibilité de faire aboutir une démarche administrative, se heurtent à une absence de réponse, peinent à contacter un interlocuteur ou trouvent porte close. Près d’un Français sur quatre exprime le sentiment de vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics.

Car la dématérialisation des services publics – qui comporte des bénéfices incontestables notamment pour celles et ceux qui sont à l’aise avec le numérique et sont dans des situations administratives simples – s’est souvent accompagnée de la fermeture de guichets de proximité et donc de la suppression de tout contact humain.

Les majeurs protégés et les personnes détenues n’ont pas vu leur situation s’améliorer. Les personnes étrangères sont encore plus massivement empêchées d’accomplir des démarches qui sont absolument nécessaires à leur vie quotidienne et au respect de leurs droits fondamentaux. Rencontrent aussi des difficultés importantes les personnes âgées - encore souvent éloignées du numérique - les jeunes - moins à l’aise qu’on ne le croit avec l’administration dématérialisée - et les personnes handicapées - qui n’ont toujours pas affaire à des services publics accessibles.
Enfin, les démarches numériques apparaissent comme un obstacle parfois insurmontable pour les personnes en situation de précarité sociale, alors même que ce sont celles pour lesquelles l’accès aux droits sociaux et aux services publics revêt un caractère vital.

Les délégués territoriaux
témoignent de réclamants de plus en plus
nombreux, mais aussi de plus en plus
désespérés, parfois même révoltés, par le
sort que les administrations leur infligent.
Nombreux sont ceux qui ne comprennent
ni ce que l’administration leur demande, ni
comment le lui fournir.

les études estiment à 13 millions le
nombre de personnes en difficulté avec le
numérique dans notre pays.

La Défenseure des droits est favorable au
développement du numérique dans les
relations entre l’administration et les usagers
s’il facilite l’accès aux droits de toutes et tous.

Car les relations entre l’administration et les
usagers ne sont pas de même nature que
celles entre un client et une entreprise : les
usagers n’ont pas la liberté de recourir au
service public, ils y sont contraints, soit par
des textes, soit parce que leurs ressources et
leur équilibre de vie dépendent des prestations
du service public. Ils n’ont pas d’alternative,
sauf le renoncement et le non recours. C’est
ce qui fonde, en face de ces droits, les grands
principes du service public – égalité, continuité
et adaptabilité – qui s’imposent comme autant
d’impératifs incombant aux administrations.

une transformation du rôle de l’usager dans la production même du service public : il en devient le coproducteur malgré lui. C’est à lui qu’il revient de s’équiper, de s’informer, le cas échéant de se former et, partant, d’être en capacité d’effectuer ses démarches en ligne, tout en répondant aux « canons » fixés par l’administration : comprendre les enjeux de la démarche, le langage administratif, ne pas commettre d’erreur au risque de se
retrouver en situation de non accès à ses droits. Sur les épaules de l’usager ou de ses « aidants » reposent désormais la charge et
la responsabilité du bon fonctionnement de la procédure.

On demande en réalité aux usagers
de faire plus pour que l’administration fasse
moins et économise des ressources.

Outre les problèmes de principe que pose
cet insidieux glissement, tous les usagers ne
sont pas, et ne seront pas avant longtemps,
en mesure de faire plus.

Dès lors, et malgré des progrès et une
volonté politique d’améliorer les choses, la
Défenseure des droits ne peut que réaffirmer
ce qui était écrit dans le rapport de 2019 :
la dématérialisation ne sera pas un levier
d’amélioration de l’accès de toutes et de tous
aux droits si « l’ambition collective se résume
à pallier la disparition des services publics
sur certains territoires et à privilégier une
approche budgétaire et comptable

A Brest, un PAPI (point d'accès public à internet) a même été implanté dans les bains-douches publics pour permettre aux personnes sans domicile fixe d’avoir accès aux outils et à l’accompagnement au numérique.

#ZoneBlanche : Les acteurs, publics ou associatifs, qui pratiquent « l’aller- vers » doivent ainsi souvent se munir de clés 4G souscrites à leurs frais auprès des différents opérateurs pour pouvoir intervenir

De même, la Défenseure des droits a été saisie à plusieurs reprises des difficultés rencontrées par les personnes ayant une double filiation paternelle ou maternelle, qui étaient dans l’impossibilité de renseigner leur état civil, le formulaire de pré-demande de CNI/Passeport ne permettant que de renseigner une case « mère » et une case « père ». Le Défenseur des droits a demandé à l’ANTS, avec succès, de modifier le formulaire en prévoyant la possibilité d’indiquer deux pères ou deux mères.

Depuis octobre 2021, les Caf ont modifié
les modalités d’accès des allocataires ou demandeurs de prestations à l’espace personnel « Mon Compte » accessible via le site internet caf.fr ou l’application mobile Caf. Le numéro de Sécurité sociale définitif (qui commence par 1 ou 2), est désormais l’identifiant des allocataires et demandeurs, qui doivent l’utiliser pour se connecter et créer un mot de passe sécurisé. Toutefois, les personnes qui ne disposent que d’un numéro provisoire de Sécurité sociale (commençant par 7 ou 8) ne peuvent pas se connecter. Le problème concerne également les personnes qui n’étant pas encore allocataires, souhaitent créer un compte pour formuler une nouvelle demande.

Alertée par plusieurs associations et notamment le réseau de la Fédération des Acteurs de la Solidarité, la Cnaf a mis en place une opération de publipostage à la disposition des Caf qui souhaiteraient communiquer par courrier postal un numéro commençant par 1 ou 2 aux usagers et permettant la connexion au compte personnel. Ces derniers ont par ailleurs la possibilité de contacter la Caf par téléphone au 3230 (numéro gratuit) afin de se voir communiquer ce numéro.

Problème si les personnes ne sont pas dans la boucle car se débrouillent seules OU professionnels / accompagnants non reconnus : Si l’information semble avoir été largement transmise par les Caf aux associations, la Défenseure des droits alerte sur le risque d’atteinte aux droits des usagers, notamment lorsqu’ils sont demandeurs d’asile ou récemment admis à la protection internationale, et sur le risque d’inégalité entre les usagers qui bénéficient de l’accompagnement de travailleurs sociaux et ceux qui, réalisant leurs démarches seuls, ne seraient pas informés des alternatives mises en place par les Caf.

Le développement par les pouvoirs publics de la mesure de la qualité des services et de la satisfaction des usagers des services dématérialisés est une démarche qui doit être saluée.
Toutefois, les dispositifs mis en place présentent une limite qui fausse lourdement les analyses que l’on peut faire de leurs résultats : dans la plupart des cas, ils ne recueillent l’avis que de ceux qui réussissent à se connecter, voire à réaliser la démarche dans son ensemble.

https://observatoire.numerique.gouv.fr/observatoire/

« Je donne mon avis »... si je réussis !

Le bouton « Je donne mon avis », qui permet à la direction interministérielle du numérique de dresser des indices de satisfaction des usagers de nombreuses démarches en
lignes, est accessible... à la fin de la démarche uniquement. Si bien que ceux qui n’ont pas réussi à aller au bout, et dont l’avis serait sans doute plus mitigé, n’ont pas accès à l’outil d’évaluation. Les chiffres issus de ce dispositif souffrent ainsi du « biais du survivant », bien connu des économistes et des militaires.

Saisie des difficultés rencontrées par des usagers pour acheter des billets de train, en raison de la suppression de guichets dans
les gares et de la fermeture des gares elles- mêmes, la Défenseure des droits constate que la transformation d’un nombre croissant de gares en « Points d’arrêt non gérés » (PANG), c’est-à-dire de gares où les voyageurs ne peuvent acheter de billet avant de monter dans le train, empêche certains usagers de se procurer un titre de transport avant leur montée dans le train, particulièrement ceux qui ne sont pas équipés d’un smartphone. Dans certains cas, les usagers se voient appliquer, à bord du train, un tarif supérieur au prix d’achat du titre de transport proposé en gare ou en ligne, voire ont fait l’objet d’une verbalisation immédiate, qui reflète une logique de suspicion de fraude.

#LienEcologie : « Ma prime rénov’ », mise en œuvre pour élargir le nombre des ménages pouvant bénéficier d’une subvention publique pour améliorer l’efficacité énergétique de leur logement. En dépit d’un public-cible situé dans les déciles les moins favorisés de la population, le choix a été fait d’une procédure exclusivement numérique pour la réalisation de dossiers de demande d’aide.

Lorsqu’elles imposent de passer par une démarche dématérialisée pour accéder à leurs services, certaines administrations font l’effort d’offrir un accueil physique complémentaire, qui ne constitue pas à proprement parler une alternative à la saisine numérique, mais qui représente un service d’accompagnement à l’accomplissement des démarches en ligne.

Comme en 2019, ces médiateurs ne sont pas compétents sur le fond des dossiers, et leur soutien s’arrête à un appui à l’utilisation des outils informatiques. #FormationMédiateuricesNumérique

Certains de ces points, fermés durant le confinement du printemps 2020, n’ont rouvert leurs portes que très progressivement.

31 % des citoyens qui se considèrent déjà pauvres et 36 % de ceux qui craignent de l’être estiment vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics

Les auditions mentionnent toutes la méconnaissance par les usagers des dispositifs d’accompagnement, y compris l’offre de service public de proximité France services, et ce bien que cette dernière ait fait l’objet d’une campagne de communication nationale dans le courant du second trimestre 2021.

En théorie, cette multiplicité de services présente
l’intérêt de donner aux usagers de nombreux
points d’entrée, voire de trouver des services
adaptés à leur situation personnelle. Elle
permet aussi de faire émerger des initiatives
remarquables . En pratique, elle suppose
que les usagers soient accompagnés de près pour pouvoir s’y retrouver et ne permet pas de garantir à tous un accès égal aux services proposés. Même certains professionnels
de l’accompagnement social ont du mal à savoir quel est le bon simulateur ou la bonne formation, ou le bon interlocuteur, quel est le service effectivement rendu, à s’assurer de sa pertinence ou de sa qualité.

Des difficultés sont notamment rapportées pour le Pass numérique. « Les retours d’expérience
des premiers déploiements du Pass sont, pour le moment, peu convaincants, les commanditaires rencontrant des difficultés à définir le public cible et à l’atteindre effectivement » (…) L’ANCT confirme les difficultés pointées par les acteurs de terrain : elle estime que seulement 20 % des Pass numériques émis ont été distribués et que, lorsque ces Pass sont effectivement distribués, un bénéficiaire sur quatre ne les utilise pas.

Le Pass numérique donne accès à des crédits de formation de 10 à 20 heures dans des lieux de médiation numérique labellisés. Cette durée est souvent trop courte, la maîtrise de l’outil numérique réclamant du temps, comme le confirment les associations consultées. Comme l’ont fait remarquer plusieurs personnes en situation de pauvreté : après la formation avec le Pass numérique, comment s’entrainer, répéter si vous n’avez pas d’ordinateur à la maison ?

Il est non seulement illusoire de croire que toutes les personnes rencontrant des difficultés avec le numérique sont prêtes pour devenir autonomes au moyen d’une simple formation, mais il convient également de rappeler que la formation n’est pas une obligation : les usagers ont le « droit » de ne pas être formés au numérique et de ne pas recourir au numérique pour leurs échanges avec l’administration. Ils ne peuvent être privés de leur accès aux droits fondamentaux, ni aux prestations auxquelles ils sont éligibles, du simple fait qu’ils ne pratiquent pas les communications électroniques.

Les délégués du Défenseur des droits (…) indiquent justement qu’une proportion importante des personnes qui les saisissent ne sont pas demandeurs de formation au numérique pour devenir autonomes dans la réalisation de leurs démarches en ligne mais souhaitent pouvoir entretenir des relations « humaines », directes, en présence, avec les services publics.

La pérennité des financements est un enjeu dès lors que l’on considère qu’une partie de la population aura durablement besoin d’un accompagnement et qu’il est nécessaire d’anticiper ces besoins en construisant une politique publique amenée à durer. Les pouvoirs publics n’ont cependant pas, à l’heure actuelle, donné de garanties en ce sens.

Les dispositions du Plan France Relance qui font de l’inclusion numérique un objectif gouvernemental fournissent des moyens significatifs pour le recrutement et la formation des conseillers numériques entre 2020 et 2022, mais sans précisions sur les financements prévus au-delà de ces deux premières années.

Il ne faudrait pas que le recrutement de conseillers numériques, en contrats de courte durée, tende à pallier la fermeture des guichets avec une réduction du nombre de postes d’agents en contact avec le public.
La Défenseure des droits alerte sur le risque de privilégier le court terme et des contrats précaires sur une vision de long terme, et le recrutement de fonctionnaires formés à cette fin.

« oblige [les acompagnateurs] à faire ce que devrait faire le service public, c’est-à-dire accompagner les usagers et organiser leur accès aux services publics, et ce sans compensation financière leur permettant d’en avoir les moyens, voire sans appui particulier des administrations et services concernés, c’est-à-dire sans accès privilégié ou plus rapide que l’usager lui-même au travers d’un logiciel identifié au sein de la structure qui dématérialise. »

Transfert de charge sur des acteurs associatifs ou publics, la dématérialisation est avant tout un transfert de charge vers l’usager.

En 2019 déjà, le Défenseur des droits avait alerté sur le fait que la numérisation des démarches conditionnait l’accès aux services publics à la capacité de l’usager à payer : coût de l’équipement, de l’abonnement, frais liés aux recours à des prestataires privés
qui proposent, moyennant rémunération, la réalisation de certaines démarches administratives

Ce transfert de charge financière, dont il est aujourd’hui évident qu’il met une partie des usagers en difficulté pour accéder à ses droits, s’accompagne d’un transfert de charge de travail : sur internet, l’usager doit s’informer, s’orienter, remplir seul des formulaires en ligne, suivre ses courriels sur une ou plusieurs messageries, mettre à jour son navigateur et les divers logiciels nécessaires, comprendre parfaitement les implications liées au fait de cocher telle ou telle case, s’adapter aux changements de sites, numériser des documents, etc.

Comme le disent Laure Camaji et Lola Isidro, « là où, en principe, l’obligation d’information pèse sur le service public, désormais il revient au potentiel bénéficiaire de prestations d’être vigilant quant à sa bonne information sur le droit qui lui est applicable.

Le processus de dématérialisation semble reposer implicitement sur une conception spécifique de ce que doit être l’usager aujourd’hui, à l’ère du numérique : un acteur parfaitement autonome, qui ne mobilise pas les ressources administratives. Il s’agit là d’un usager idéal, vers lequel tous les usagers devraient tendre. Et pour ceux qui n’y arrivent pas, la dématérialisation forcée est une forme de maltraitance institutionnelle.

Plusieurs personnes en situation de pauvreté ont émis le souhait d’avoir un site réplique pour s’entrainer avant de le faire pour de vrai.

Là où le recours au numérique devient obligatoire, il augmente la dépendance, et donc l’humiliation et le sentiment d’être différent et pas à la hauteur.

Les services publics mis en cause devant les délégués pour des difficultés liées à la dématérialisation des démarches demeurent principalement : les préfectures, dans le cadre des démarches des étrangers (citées par 84 % des délégués) et l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) pour les titres liés aux véhicules (permis de conduire, permis d’immatriculation - cités par 79 % des délégués). Parmi les organismes de protection sociale les plus cités, les délégués mentionnent essentiellement les Caf (44 %) et les Carsat - régime général de l’assurance retraites (37 %).

La création du compte personnel Pôle emploi vaut, par défaut, acceptation de la communication dématérialisée, sans que les intéressés en soient nécessairement conscients. Ainsi, un demandeur d’emploi a saisi le Défenseur des droits car il a été radié de Pôle emploi en raison de deux absences à des rendez-vous avec son conseiller. Habitant en « zone blanche », privé de réseau téléphonique et de connexion internet, il n’avait pas reçu à temps ni les SMS, ni les mails de convocation sur son téléphone portable.

Faute d’avoir pu réaliser en ligne sa déclaration trimestrielle de ressources, et l’espace France services où il a l’habitude de faire
ses démarches étant fermé pendant l’été, un réclamant sans domicile fixe et dépourvu d’équipement numérique a vu la Caf mettre fin à ses droits pour défaut de déclaration....

Prime rénov : Faute de réponse de l’Agence nationale de l’Habitat (ANAH) sur un dossier bloqué, une réclamante dit avoir passé l’hiver sans chauffage.

Face au coût élevé des connexions internet, les personnes économiquement vulnérables doivent parfois faire le choix entre se nourrir et avoir accès à internet pour réaliser une démarche leur permettant d’accéder à leurs droits. Solange V. dit ainsi : « J’ai du mal à boucler mon budget pour faire manger ma famille. Pourtant, pour pouvoir vivre, je dois payer un abonnement internet pour avoir accès à mes droits et faire mes déclarations en ligne ».

la responsable d’un centre communal d’action sociale soulignait l’absurdité de la situation dans laquelle elle se trouvait, face à des ménages pour lesquels elle devait débloquer des aides d’urgences... dont ils n’auraient pas eu besoin s’ils avaient réussi à faire valoir leur droit à certaines prestations.

La Défenseure des droits recommande d’associer les usagers précaires ou pauvres, les associations qui les accompagnent et
les travailleurs sociaux, à la conception et à l’évaluation continue des sites publics, afin de comprendre leurs difficultés et d’étudier leurs propositions pour adapter leur ergonomie et le vocabulaire des formulaires. Les outils numériques doivent être pensés pour faciliter l’accès aux droits et être des ressources pour les travailleurs sociaux dans l’accompagnement des personnes ;

Certaines populations sont structurellement pénalisées par le développement de l’administration numérique :

  • Les personnes handicapées
  • Les détenu·es
  • La personnes précaires
  • Les personnes âgées